Quelles politiques et quelles réglementations pour l’émergence de « champions bancaires » ouest-africains dans le contexte de libéralisation des services financiers? Par Pr Abdoulaye SAKHO*

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La notion de « champions bancaires » renvoie à celle plus connue de « champions nationaux » qui est utilisée dans le cadre de la politique industrielle.

L’expression politique industrielle désigne toute intervention des pouvoirs publics influant sur les décisions des entreprises, depuis les mesures générales comme les avantages pour l’investissement accordées à toutes les entreprises jusqu’aux incitations plus spécifiques à caractère sectoriel en passant par les mesures « nationalistes », notamment l’obligation d’intégration locale pour les marchés publics, le subventionnement direct ou indirect de certaines entreprises, ou les mesures plus dirigistes comme la création de champions nationaux et leur protection contre les concurrents et acquéreurs étrangers.

La libéralisation financière est un concept flou, tant sur le plan académique que dans ses applications dans les différents pays, développés comme en développement. On y associe habituellement des hypothèses fortes concernant une déréglementation des quantités et des prix des différentes ressources financières, et une suppression des frontières entre différentes activités comme entre principaux marchés d’actifs financiers. Cette libéralisation financière suscite à la fois beaucoup d’attentes (meilleure efficience allocative des ressources financières, meilleure intégration internationale), et beaucoup d’inquiétudes.

En particulier la question se pose de savoir si cette libéralisation appliquée dans les pays en développement ne constitue pas un facteur d’aggravation du risque pays en général, et une cause plus forte de turbulences systémiques pour les marchés d’actifs financiers et bancaires.

Dans le cadre de l’OMC, ces fonctions comprennent la facilitation des transactions économiques (échanges de biens et de services); la mobilisation de l’épargne (dont les possibilités d’affectation seraient sinon beaucoup plus limitées); l’affectation des capitaux (en particulier pour financer des investissements productifs); la surveillance des gestionnaires (pour faire en sorte que les fonds soient bien utilisés comme prévu); et la transformation des risques (en les agrégeant pour les réduire et en faisant en sorte qu’ils soient supportés par ceux qui sont le plus disposés à le faire).

Le lien entre Libéralisation des services financiers et développement économique n’est plus à faire : le développement d’un pays s’inscrit dans le long terme tandis que la vision des investisseurs financiers est souvent de plus court terme. Il peut y avoir ainsi des conflits potentiels d’intérêts entre autorités politiques et investisseurs et qui peuvent avoir des effets néfastes sur le développement du pays.

Ce risque révèle toute la problématique de la contradiction entre la politique industrielle (favorable aux champions nationaux) et la politique de la concurrence et qui est un moyen de faire en sorte que les mécanismes du marché ne soient pas entravés par des pratiques anticoncurrentielles..

A morning without coffee is like sleep.

Dans le cadre ouest africain et pour rester dans la problématique de l’émergence de champions bancaires, il faut nécessairement examiner si les politiques et réglementations en vigueur dans l’espace d’intégration (UEMOA-CEDEAO) accordent un regard à cette difficile question. En effet, aller dans le sens de nos engagements vis-à-vis de l’OMC signifie globalement une ouverture tous azimuts de nos marchés.

Or, il semble admis aujourd’hui que l’initiative privée, à elle seule, ne suffit pas pour promouvoir le développement et une aide publique temporaire est nécessaire pour accélérer le développement. D’où la création et le soutien des champions nationaux dans plusieurs pays en développement. Brésil (aéronautique EMBRAER), Corée (automobile HYUNDAI).

La réglementation bancaire et celle de la concurrence sont elles favorables à l’émergence des champions bancaires dans la Région?

I   – Etat de la politique et de la réglementation bancaires et de la concurrence dans le marché ouest africain

L’Afrique de l’ouest est partagée entre deux grandes institutions d’intégration, UEMOA et CEDEAO. Cette dernière présente une plus grande pertinence géographique (15pays) alors que la première possède une longueur d’avance en termes de politiques et de réglementation surtout dans le domaine des cadres généraux de l’économie que sont la monnaie, le crédit et la politique de la concurrence.
Le système bancaire et financier est assez bien organisé dans l’espace UEMOA de même que la réglementation et la politique de la concurrence. Tous reposent sur des textes qui prétendent offrir un cadre propice d’épanouissent pour l’entreprise bancaire.
Ces textes permettent ils l’émergence de champions bancaires?

En tout état de cause, la loi bancaire qui est commune à tous les pays de l’UEMOA admet que les établissements de crédit sont soumis à une réglementation de la concurrence spécifique, tenant compte des particularités des établissements de crédit (article 102 de la loi bancaire qui est une loi uniforme).

II  – Les bases d’une politique et d’une réglementation de champions bancaires dans l’ouest africain

Cette disposition de l’article 102 de la loi bancaire qui autorise la mise à l’écart de la réglementation communautaire de la concurrence constitue peut être la base juridique pour une politique et une réglementation en vue de l’émergence de champions bancaires.
En effet, avec la crise, on a pu constater que le premier reflexe des gouvernements est toujours de mettre entre parenthèse les règles de la concurrence, de protéger l’industrie domestique et d’essayer de tirer partie de la crise pour gagner un avantage concurrentiel que les libéraux purs et durs considèrent comme « illusoire » (Elie Cohen 2009).

Aussi la possibilité légale de bénéficier d’une réglementation spécifique de la concurrence est déjà un atout non négligeable dans le sens de champions bancaires.

III  – Le contenu d’une politique pour l’émergence de champions bancaires

La création et le soutien des champions nationaux est en contradiction avec la politique de la concurrence.
Il faudra en conséquence créer un cadre d’épanouissement des entreprises bancaires de la région.
Cela suppose, comme premier acte, (la décision) une volonté politique clairement affirmée des dirigeants politiques ouest africains de déléguer aux communautés économiques régionales les négociations commerciales afin de parler d’une seule voie et d’éviter la dispersion.
Cela suppose, comme second acte, (les institutions) un cadre institutionnel régional de politique des investissements dans l’espace communautaire: il est constaté dans tous les pays membres des institutions de promotion des investissements.
Pourquoi pas une institution régionale de promotion des investissements dans la CEDEAO en vue de coordonner tout ce qui se fait dans ce domaine dans les différents pays?

Sur ce plan et pour les services bancaires nous disposons, grâce à la BCEAO d’un avantage certain, il n’y a pas de fragmentation du pouvoir de

régulation et supervision prudentielle dans l’UEMOA. A copier dans la CEDEAO?

IV      – Le contenu d’une réglementation pour l’émergence de champions bancaires

Il faut des mesures de faveur, des mesures temporaires de distorsions de la concurrence.
En ce sens on peut citer des exemples topiques:
Au Brésil, Embraer a été créé en 1969 avec le statut d’entreprise publique (privatisée en 1994), elle a bénéficiée au début de son développement du soutien sous la forme de subventions et d’un régime préférentiel pour les marchés publics avant de devenir un acteur mondial majeur dans le secteur de l’aéronautique et de se situer au premier rang des exportations du Brésil;
En Corée, le conglomérat Hyundai a été subventionnée et protégé occasionnellement de la concurrence étrangère à chaque étape de sa diversification;
Au Mexique, la décision d’imposer aux entreprises étrangères de production automobile (attirée par le faible niveau des salaires et la proximité des Etats Unis) de strictes obligations d’intégration locale a été couronnée de succès et aujourd’hui le premier secteur exportateur est l’industrie automobile dans ce pays;

D’ailleurs beaucoup de pays en développement utilisent cette politique afin de favoriser le développement de certains secteurs par exemple les industries extractives et le tourisme (plusieurs pays d’Amérique latine) ou les logiciels (Chine et Inde) de même que les transports maritimes.

•       Alors pourquoi pas le secteur financier Ouest Africain qui possède déjà des atouts grâce à une intégration monétaire et financière dans le cadre UEMOA?


La réglementation doit favoriser la création directe de champions nationaux, ce qui suppose que le contrôle des concentrations, des fusions et acquisitions dans le secteur bancaire soit un contrôle d’opportunité

(est-ce bon pour l’économie nationale?) et non uniquement un contrôle de légalité.

La création des champions peut aussi être indirecte cela suppose d’influer sur des réglementations pour leur donner une orientation incitative: encadrement du crédit, marché publics, fiscalité et subventions ou autres aides publiques.
Outre la création directe ou indirecte, il est possible de soutenir les champions existants après avoir aidé à leur création. Ce genre de soutien offre aux pays en développement un moyen d’atteindre une masse critique sans laquelle une économie ne peut pas décoller faute d’économies d’échelle: cette problématique pose la question de la cohérence avec le droit des entreprises en difficultés qui existe dans le système OHADA.

Mais dans le système UEMOA , il est expressément prévu que les dispositions du droit commun des faillites sont applicables aux banques tant qu’il n’y a pas de dérogations expresse prévue par la loi bancaire elle- même. (article 84 de la loi bancaire)

V  – Comment faire émerger les champions bancaires?

Ailleurs lors de la dernière crise financière, une panoplie d’outils d’intervention a été adoptée: garantie des dépôts, recapitalisation des banques, garantie du crédit interbancaire, rachats éventuels d’actifs toxiques…

Que faire ici pour des champions bancaires ouest africains?

Agrégé des facultés de droit- Laboratoire de droit et d’économie de la régulation CRES – UCAD – Dakar

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